[Grand hall]

Cybelle était enragée, une fois de plus. Un client venait de lui postillonner son mécontentement au visage et, naturellement, il n'avait même pas été en mesure de s'exprimer assez correctement pour que la propriétaire le comprenne bien. Le vieux con était frustré parce qu'une personne à la réception lui avait parlé d'un ton très désagréable. Seulement, il n'avait rien précisé sur cette personne. Donc, Cybelle en avait contre TOUS les réceptionnistes. Ils paieraient.

La jeune femme se dirigea donc vers la réception et, une fois sur place, elle agrippa la première malheureuse personne qui était employée à Union pour l'entraîner un peu à l'écart.

-Toi, tu vas m'expliquer ce qui s'est passé avec M. Legris. Tout de suite.

Effectivement, Cybelle connaissait très peu d'autres modes d'expression que les menaces. Peut-être était-ce parce que son cher père adoptif les lui avaient apprises dans l'intimité.

-Écoute, Cybelle... un client insatisfait ne changera rien à la cote de popularité de ton hôtel, donc ton cul est sauf.

Cybelle ne releva pas le vocabulaire irrespectueux, préférant s'en tenir à l'essentiel.

-Un client de moins fera de la mauvaise pub et... si tu es désagréable avec un client, rien ne me dit que tu ne le seras pas avec PLEIN d'autres.

-Par contre, si jamais tu ne veux pas que ce genre de situation se reproduise, assures-toi qu'il y ait toujours DEUX réceptionnistes à l'avant, SURTOUT si je travailles...

Il se foutait d'elle. C'était évident. Ça ou elle avait mal entendu. Avait-il vraiment dit ce qu'elle venait d'entendre? C'était ridicule.

-Christo, je vais être très claire avec toi et je vais m'exprimer avec simplicité parce que tu ne sembles pas comprendre facilement.

Cybelle mit un centimètre de moins entre eux et son ton se fit plus tranchant encore.

-Tu vas faire ton travail, tout comme les autres, ni plus ni moins. Si nécessaire, tu iras parler à Viktor, ou à n'importe quel autre employé avec qui tu auras couché et que ça se sera mal terminé. Si besoin est, tu pleureras dans le dortoir le soir, mais je m'en fous. Tu fais ton travail comme je te le demande ou tu t'en vas.

-Heureux de te l'entendre dire, ma chère Cybelle. Tu m'étonneras toujours.

Cybelle savait que répondre à Christo, à ce moment, n'avait aucune valeur. Sa réplique suivante serait beaucoup plus violente, comme chaque fois qu'un employé avait la stupidité de croire que sa patience n'avait pas une limite aussi rapprochée.

-Qu... Quoi? NON!

C'était mignon. On aurait dit un animal pris au piège au centre d'un cercle de feu. Les yeux de Cybelle brillaient d'ailleurs d'une manière plutôt infernale alors qu'elle se remettait à sourire. Cependant, son sourire mielleux, lorsqu'il était accompagné de ce regard volcanique, n'avait rien de sympathique.

-Pourtant, c'est bien la conclusion de notre discussion. Pour conserver ton travail, tu dois me prouver que tu es professionnel. Tu n'es pas prêt à le faire; tu pars.

Cybelle recula d'un pas.

-Aurevoir, Christopher. N'oublie pas de vider le dortoir de tes choses avant la fin de la journée.

Et elle commença à s'éloigner, faisant claquer ses talons hauts sur le sol luisant du grand hall de l'hôtel.

Christo avait toute la misère du monde à ne pas pleurer. Il était venu ici pour se tenir loin de sa famille et si Cybelle le renvoyait, il devrait retourner auprès de son traitre de frère. Mais il savait qu'il en était incapable. Il n'osait pas regarder Cybelle, de peur d'y voir une rage trop féroce. Ce serait un signe qu'il devrait retourner chez lui, dans une maison remplie de pièges à tuer, comme dans les ancienne pyramides.

-Alors...Arrête, toi aussi. Fais ton travail; c'est tout ce que je te demande. Et, si tu ne veux pas parler à Viktor, trouve quelqu'un pour faire passer le message, mais il faut que les clients aient un service parfait...

Christo n'en croyait pas ses oreilles. Il devait surement rêver. C'était un compromis que Cybelle venait de lui proposer, ce qui était impossible à concevoir. Elle ne ferait jamais une chose pareille puisqu'elle ne faisait jamais rien de gentil. Le réceptionniste releva la tête et regarda sa supérieure. Elle semblait quelque peu perturbée. Christopher aurait peut-être dû lui demander si elle elle allait bien, mais il ne voulait pas non plus la froisser et se faire renvoyé une autre fois. Une fois par jour était amplement suffisant...

-Euh... ouais d'accord... Merci Cybelle...

Malgré toute sa bonne volonté, son trouble et son incompréhension étaient visibles sur son visage et dans sa voix.

-Cybelle... je...

Il s'était arrêté parce qu'il venait de se rendre compte de ce qu'il allait dire. Il était figé sur place, à se demander s'il devrait ou non continuer sa phrase.

La main serrée sur sur bras jusqu'à en avoir les jointures blanches, Cybelle avançait sans trop savoir vers où. Sa chambre?...Mais où était-elle? La jeune femme détestait les moments où le souvenir de son beau-père lui revenait, tout comme ceux où aucun autre souvenir ne voulait prendre sa place. Elle avait, depuis longtemps, l'impression d'être au bord de la folie, et elle avait peur d'y sombrer un peu plus chaque fois qu'elle ne parvenait pas à avoir le contrôle d'une situation ou d'une émotion. C'était pourquoi elle maltraitait autant ses employés: ils devaient se plier à sa volonté. Dans le cas contraire, elle se sentait tomber.

-Cybelle, attends! ... Est-ce que ça va?

La jeune femme cessa d'avancer, comme si, maintenant que ses souvenirs l'étouffaient à nouveau, elle se sentait encore obligée d'obéir. Essayant de vider son regard de toute émotion, un peu vainement, elle se retourna vers Christopher.

-Je...oui...

Cybelle ferma les yeux une seconde, le temps de chercher où pouvaient être passés son ton autoritaire et sa facilité à donner des ordres. Elle ne trouva ni l'un ni l'autre, mais elle se força à essayer de parler comme une personne plus ou moins normale.

-Je t'ai dit de retourner travailler...

Elle manquait tellement de conviction qu'on aurait dit qu'elle posait une question.